Extraits du témoignage de Sophie
Bounoure dans son ouvrage « Histoire d’une jambe grosse »
Ce qu’il faut savoir sur le système lymphatique
Elle est si
discrète qu'elle n'intéresse
personne. Son importance
est longtemps restée méconnue, le corps médical affirmant que son rôle
était passif. Grave erreur.
Elle travaille comme une damnée, en étroite collaboration
avec quelques six cents à sept
cents ganglions répartis
dans tout le corps, et de tailles différentes. L'air de rien, son
réseau est complexe.
Elle agit tous azimuts : elle draine et détoxifie la plupart
des organes. Les graisses du poulet frites du dimanche, elle s'en charge en les
transportant, pour les résorber. Même chose avec les hormones à qui elle sert
de taxi. En cas de problème infectieux ou lors de la cicatrisation, elle joue
les sapeurs pompiers. Les fameux méchants globules blancs, dont le taux fait
peur à tout le monde, trouvent en elle un véritable siège social.
Sa grande
cousine, la circulation sanguine,
dont elle est
inséparable, est la
première à reconnaître qu'elle
est indispensable à notre corps. Ce système lymphatique est une véritable
petite abeille, une vraie fourmi. Elle est partout, et ne ménage pas sa peine.
Il suffit de
quelques ganglions atrophiés,
dans le creux
inguinal du membre inférieur
droit, comme chez moi, et c'est le lymphœdème, à qui on ajoute le qualificatif
« primaire » histoire d'enjoliver la « malformation congénitale », cette
vilaine formule, bêtement accusatrice vis à vis de vos géniteurs, et propre à
faire naître chez celui qui vous regarde un regard concupiscent, voire idiot.
Il peut se déclarer in utero, à la naissance, à l'adolescence, avant ou après trente-cinq ans. On aura compris qu'il se déclare quand il veut,
sans que vous l'ayez souhaité.
Le second type de lymphœdème est, sans surprise,
dit « secondaire », car lié à un curage, après un cancer.
A priori anodine,
cette maladie, en
réalité, impacte de
nombreux domaines, et est
très réactive. En
deux secondes, pour
une quelconque raison, vous
pouvez subir une poussée infectieuse, et courir un vrai risque.
Parce qu'elle atteint un membre, demande des soins
réguliers, et vous empoisonne la vie, elle est invalidante.
Parce que l’œdème prend ses aises sur la totalité du membre,
et prend de l'âge comme vous, elle est évolutive. Vous avez le droit de grimper
quatre stades, le dernier étant dénommé Éléphantiasis. Chacun peut aisément
imaginer les détails.
Parce qu'un vaisseau lymphatique est aussi fin qu'un cheveu,
et que la lymphe est directement
liée au système
immunitaire, elle est
incurable puisque l'éventuelle greffe de ganglions ou la probabilité
d'un pontage sont impossibles.
La seule solution
pour freiner l'évolution,
et réduire les
risques : se prendre en charge, en espérant que les
moyens financiers soient au rendez- vous. Avoir une maladie qui nécessite des soins, des
traitements médicaux, et du matériel, a un coût important.
Principe
Cela n'a l'air de rien mais c'est un critère essentiel. En
effet, le principe de la jambe grosse est simple. Plus vous piétinez, plus vous bougez, plus
ça gonfle. Par conséquent,
vos déplacements doivent
être calculés avec minutie.
Le kiné
Je n'ai pas toujours eu autant de chance avec mes kinés de
vacances, la liste est longue d'essais infructueux, et de mensonges pieux pour
éviter le gaspillage de rendez-vous, ou la déprime devant un ratage (…) Dès les
trente premières secondes, je vois venir l'échec. J'ai une longue carrière dans
le domaine. Je sais ce qu'est un bon drainage pour ma jambe(…)Vingt-cinq années
de kiné, c'est vingt-cinq ans de rencontres plus ou moins chanceuses (...). Je
me sentirais trop
seule sur ma
planète, comme Robinson Crusoe sur son île, si je devais gérer, et faire
face à ma maladie, sans un lien
extérieur, celui construit avec ma kiné.
Certes, j’ai appris, au fur et à mesure, à faire un
drainage, je suis devenue ma propre kiné, et une kiné qui ne compte pas son
temps. Mais c'est lassant vu le
temps que j'y passe, et pénible d'un point de vue physique que d'être pliée en
deux pour faire mon drainage (…) Ensuite, ce n'est pas suffisant. Leur geste est
complémentaire, car différent.
Un bon médecin ostéopathe
Après quelques commentaires, il m'invite à m'allonger sur la
table de soins. Manipulée avec douceur, je me laisse aller difficilement, mais
il est patient, et le lâcher prise finit par arriver. Deux autres séances sont
nécessaires.
Ma jambe grosse est toujours grosse, mais je constate
des effets
bénéfiques, comme le ressenti abdominal,
la circulation et l'adéquation « mentale » entre ma jambe et le reste de
mon corps. On peut parler de meilleure circulation d'énergie.
C'est
assez difficile à expliquer, mais j'ai toujours eu conscience d'une sorte de
disharmonie entre ma jambe, et le reste de mon corps. Le fait de sentir, à
nouveau, cette unité améliore la circulation.
Le médecin généraliste
Reste l'incontournable médecin généraliste, l'accompagnateur
fidèle qui agit, si besoin est, même s'il écoute d'une oreille trop distraite
parce qu'il manque de temps (…) il fait ce qu'il doit faire.
Me donner les
médicaments indiqués pour une crise d'érysipèle, une ordonnance pour les bas,
les drainages chez la kiné, un arrêt maladie si nécessaire.(…)
Pas
facile de trouver un généraliste qui prend un
peu de temps pour vous écouter, et vous entendre ! Ce
que je souhaite surtout, c’est réserver la consultation des médecins aux seuls
cas d’urgence. Je n'apprends rien de plus sur ma maladie auprès d'eux, et
l'énergie qui me guide, je la trouve au fond de moi
Phytothérapie
(Il) s'ingénie à me concocter un traitement homéopathique
destiné à purifier, éliminer, faire circuler, et vider tout ce qui peut, selon
lui, faire obstacle. Je ne sais plus où donner de la tête entre l'artichaut, le
cassis, le chardon-marie, le desmodium, le chrystantellum, et autres
plantes parfaitement inconnues.
J'en avale environ quinze chaque matin, et
quinze chaque soir. Il y croit dur comme fer, alors que je suis plus sceptique.
Les mois s'écoulent, ma jambe dégonfle peu
à peu.
Disons qu'elle retrouve une forme humaine. Je la mesure régulièrement, je bois presque deux litres d'eau par
jour, et je viens en drainage deux à trois fois par semaine. Il a
confiance dans son action, c’est une source de motivation énorme. Je continue à
avaler mes dizaines de gélules par jour, en y croyant, chaque jour, un peu
plus.
Homéopathie
Je me suis tournée, depuis longtemps, vers l'homéopathie qui donne de bons résultats. Elle ne guérit pas, mais elle soigne, en complétant
les autres soins de façon douce. Matin, midi et soir, je consomme
granules, doses et plantes fraîches. Il en existe une multitude pour la
circulation, la peau, contre l’œdème, et les problèmes infectieux.
Il suffit
d’alterner afin de ne pas en altérer les effets. Là aussi, c’est un
investissement. Au fur et à mesure des années, ce protocole homéopathique a
complété ma gestion de la maladie, et peut-être contribué au ralentissement de son évolution.
Voyage par l’Euro tunnel : danger
Au retour de Londres par l'Euro tunnel, en une nuit, sans
que je ressente le moindre symptôme, ma jambe devient énorme, elle double ses
dimensions, certainement à cause des vingt minutes de pression au milieu de la
Manche.
La discipline du coucher et du lever
C'est une aliénation totale à des soins que vous devez à
vous-même, une discipline à laquelle vous ne pouvez échapper, un peu comme si
vous rentriez dans les ordres (…) Toute
velléité de paresse se traduisant par des effets néfastes, le moindre retard
rallonge la durée du soin suivant.
Premier geste du matin : baisser mon lit électrique. Je choisis mon inclinaison en fonction de l'état de ma
jambe. Les bons jours, la pente
est douce, c'est la fête. Les mauvais jours, mon lit devient la rampe de
lancement d'une fusée, je suis condamnée à dormir sur le dos.
Au début, il a été difficile de trouver le sommeil dans cette seule
position, puis, à force de concentration et de lâcher prise, j'ai appris à
m'endormir ainsi. L'important est de ne pas s'énerver, et de penser à une chose
agréable, la journée qui vient de s'écouler, un projet, un livre, un film, mon
jardin, pour noyer mon esprit dans un océan de bien-être.
Regarder le plafond,
sans pouvoir me tourner, ne fait pas partie des positions les plus relaxantes,
on se croit très vite à l'hôpital. Quand je sens l'agacement me gagner, je me
concentre sur l'objet de satisfaction que mes pensées me procurent. Question
d'habitude, et de motivation.
Cette semi verticalité me permet de vider mes
ganglions, et m'assure une jambe bien drainée le matin. J'en profite pour pomper mes ganglions inguinaux et abdominaux,
à condition de ne pas trop pomper, l'excès étant mauvais pour les ganglions
eux-mêmes. Seul inconvénient : la fatigue.
Dormir dans la même position une nuit entière, et vider
mes ganglions aussi longtemps ne sont pas des activités de tout
repos.
(…). Bonne élève toutes ces années durant, je m'arroge le
droit à une indiscipline raisonnable puisque
je reviens toujours
à une inclinaison minimale
(…) Ma crise d'adolescence ne dure guère plus d'une ou deux nuits. Ma
sagesse et mon autodiscipline reprennent toujours le dessus, au moins dans ce
domaine-là.
L’eau
Procédure suivante : l'eau froide et
le bas de contention. Incontournables. (…) Je passe le jet, plusieurs fois, le matin et le soir au coucher, et lorsque la chaleur est trop forte, je laisse
mes jambes dans un petit bain d'eau
froide un bon
quart d'heure. Une
thalassothérapie improvisée, une vraie solution pour ramollir, et
dégonfler l'œdème tant que l'eau est froide.
Mais le bonheur ultime, c'est le bain de mer.
Quel endroit mieux que la Bretagne pour cela ? Ici, on ne risque ni
canicule ni eau chaude. Je marche dans l'eau de mer, et, mis à part
l'hiver, j'essaie de me baigner
en toute saison. L'eau varie
de douze degrés
à vingt et
un degrés, vingt-deux maximum les années rarissimes de
grande chaleur. C'est un vrai moyen d'associer le plaisir et la maladie, deux
réalités, a posteriori, antagonistes. Ces bains bretons sont un complément
extraordinaire.
L'eau
est parfois si fraîche, il faut bien l'avouer, que ma jambe devient mince à
l'échelle du lymphœdème.
Elle redevient magnifique. Cette maladie aime l'eau, sous forme de
bain ou de bouteille, à raison de un litre et demi par jour. L'eau a
une vertu
drainante et purifiante exceptionnelle.
Le froid a
un effet de compression sans nul autre pareil, et c'est une décharge
d’endorphines, et de sérotonine, suffisante pour me sentir bien.
Le bas de contention
Après l'eau salvatrice,
le rituel du
bas auquel, hélas,
je ne peux
me dérober. Ce truc est une vraie plaie existentielle. Je dois l'enfiler
le plus rapidement possible si je veux garder le bénéfice de la nuit, du soin
ou de l'eau (…) J
e le porte du matin au soir, trois cent soixante-cinq jours
par an, sans un seul moment de relâche (…)
La compression exercée par la contention
élevée est désagréable, le coton épais enserre la jambe, la boudine, et donne
très chaud au printemps, et en été. D'où les heures passées dans l'eau de mer (…)
Les mettre
exige une certaine souplesse du corps, une bonne respiration, et une grande
motivation. Elle ne me fait pas
défaut, car il est évident que je ne peux plus me passer de cette contention 4.
Depuis bien longtemps, je ne fais plus de chichis pour les porter.
Le bas
anglais
(…) j'ai découvert son cousin, un matériel miraculeux, au «
look » singulier, il y a un peu plus d'un an, grâce à ma kiné. (…) il est
indescriptible, mais l'essentiel
est qu'il soit
d'une redoutable efficacité.
Mis à part
l'effet matelassé de la jambe, qui en surprend plus d'un, l’œdème est
souple, et le gonflement très limité.
L'idéal serait de
le porter toute
la journée, mais compte tenu de son aspect et de son
épaisseur, cela fait partie du domaine de l'impossible. Les alvéoles contenues
à l'intérieur du collant, la couleur et la matière de l'enveloppe donnent à
celui-ci un volume important, et une allure spéciale. Un astronaute pourrait
trouver cet équipement familier, et être, pourquoi pas,
attiré par son
port, mais je
ne vois pas
d'autre candidat potentiel (…) Il
n'en demeure pas moins qu'il est l'arme idéale contre le lymphœdème. Le jet
d'eau froide passé, je saute dedans avec plaisir. Avant, je n'avais que des bas
de contention classiques. Après une heure passée à me préparer, mon crédit
était déjà entamé.
Le bénéfice de la nuit était consommé, ma jambe commençait à
gonfler et durcir. Le processus était inévitable, à moins de rester
au lit, puisque
c'est une maladie
faite pour les
paresseux.
Désormais, ma jambe est parfaite jusqu'à la fin du petit
déjeuner, au moment où je le quitte pour mon bas de mémé. Cerise sur le gâteau,
je le saucissonne dans un bandage magique supplémentaire.
La procédure quotidienne
Chaque matin, mon but est clair : gonfler le moins possible
ou le moins vite possible. Pour cela, je dois être debout le moins possible, et être assise le
moins longtemps possible… après trois ou quatre heures de travail,
malgré les efforts consentis pour limiter la station debout, ma jambe est dure,
et lourde comme un rondin de bois, le galbe a disparu, le genou ressemble à un
ballon de foot, et les trajets lymphatiques ainsi que les ganglions
lymphatiques sont surchargés.
Pas de panique, j'y suis habituée, et même si, de
temps en temps, j'angoisse un peu ou je deviens irritable, je me raisonne. Je
sais que je dois rentrer à la maison dès que possible. Après avoir réglé les
affaires courantes, en milieu de journée, je dois faire un premier soin.
C'est une nécessité absolue. Afin de
favoriser le drainage, je replonge
ma jambe dans
mon collant spatial, pour déjeuner(...) Puis je m'allonge, pour une
bonne heure de soin, quand mon emploi du temps le permet.
Je refais les mêmes gestes : appel des
ganglions inguinaux et abdominaux, cuisse, genou, mollet, cheville, et pied. Grâce à ce soin de demi-journée, l'œdème est sous
contrôle, la jambe plus molle. J'en profite pour pratiquer mon anglais, en
regardant les chaînes anglaises.
L'idée est de transformer le temps passé à
l'horizontale, en loisir, en d’autres termes, en temps bénéfique. Je fais une
foule de choses dans cette position, je ne m'ennuie jamais. Je rentabilise
mon temps de soin, en le doublant d'une autre activité.
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