mardi 24 octobre 2017

Diagnostic et prise en charge du lymphoedème


Article paru dans le Forum médical suisse sous Licence Creative Commons "Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International".

Extraits

Le lymphœdème (LO) constitue un problème de santé publique  dont la prévalence, évaluée à 1,33/1000, est vraisemblablement sous-estimée. Ces dernières années, des progrès ont été réalisés dans la compréhension de son développement et dans sa prise en charge. 

S’agissant d’une maladie chronique, le traitement du LO reste difficile. Il nécessite d’être effectué de façon régulière sur le long terme. Ses nombreuses contraintes découragent souvent médecins et patients. 

Il est donc important de faire du patient  un  co-soignant  de sa propre maladie. 

Une prise en charge précoce et adaptée du LO permettra de minimiser son volume mais aussi de diminuer ses conséquences, en particulier sur la qualité de vie. 

Le LO est défini comme une pathologie provoquée par une réduction  de transport de la lymphe  suite à un trouble organique ou fonctionnel des vaisseaux lymphatiques accompagné d’une lymphostase. 

Seul œdème à forte  concentration protéinique, il se distingue  de toutes les autres formes d’œdème pour lesquelles prévaut la composante hydrique.

L’atteinte du système lymphatique entraîne l’accumulation de protéines dans l’espace extracellulaire. L’augmentation de la pression oncotique interstitielle génère un afflux hydrique à l’origine du LO. 

Secondairement, on observe une stimulation des fibroblastes avec production de collagène, une activation des kératinocytes et des adipocytes ainsi qu’une destruction des fibres élastiques. 

Cette transformation qualitative des tissus est très probablement  la conséquence d’une infiltration des tissus par des cytokines pro-inflammatoires et des macrophages puisque les protéines  par elles-mêmes ne sont pas capables d’induire la fibrose observée.

L’évolution du LO se fait donc vers une pathologie tissulaire, avec augmentation du tissu conjonctif et adipeux. 
L’épaississement et la fibrose cutanés sont responsables du signe de Stemmer. Celui-ci se définit par l’impossibilité de plisser la peau de la base du deuxième orteil. Il peut être recherché ailleurs sur le membre ou le tronc permettant ainsi de préciser l’étendue du territoire touché par le LO.

Le diagnostic du LO est avant tout clinique. La connaissance de la physiopathologie, des circonstances précises de son apparition et de ses signes spécifiques se révèlent primordiaux. 

Une démarche systématique lors de l’anamnèse du patient, l’inspection et la palption de la zone affectée permet d’établir le diagnostic dans la majorité des cas (tableau).




L’examen clinique précise également la localisation et l’étendue exacte du LO, l’importance de la fibrose tissulaire et l’appréciation des signes du godet et de Stemmer.

Prise en charge thérapeutique du lymphœdème

Un traitement curatif du LO n’existant pas, les traitements visent  à réduire  le volume  du LO, à éviter les complications  infectieuses, cutanées et articulaires, à atténuer la gêne fonctionnelle et permettent au patient de vivre le plus normalement possible avec «son» LO.

La physiothérapie décongestionnante combinée

La physiothérapie décongestionnante combinée (PDC) associant soins cutanés, drainage lymphatique manuel (DLM), contention-compression et exercices physiques demeure le traitement de référence. Les bandages en constituent un élément essentiel.

En jouant sur les substances mobilisables, les traitements améliorent le tableau clinique, parfois de façon spectaculaire, mais les facteurs responsables de la maladie persistent de même que sa tendance évolutive. 

Ainsi, le moindre écart que pourrait constituer une activité musculaire excessive, l’exposition à la chaleur, le manque de rigueur dans le port de la compression élastique ou la présence d’inflammation entraîne à nouveau une augmentation de volume du membre concerné.

La PDC doit être débutée le plus précocement possible, par des physiothérapeutes spécifiquement formés, avant l’installation d’altérations tissulaires secondaires alors que le LO est encore réversible.

Le traitement se déroule en 2 phases. 
Une première phase intensive de drainage à raison de trois séances hebdomadaires au minimum. 

Lorsque la courbe des mesures se stabilise débute la phase de stabilisation/ d’optimalisation caractérisée par le remplacement des bandages réducteurs au profit d’une compression élastique appropriée tant dans son étendue que dans sa classe de compression et du DLM d’entretien.

Le DLM se doit d’être toujours associé à la contention- compression. Une étude randomisée non aveugle a montré que le DLM en association aux bandages réducteurs permettait une diminution de volume deux fois supérieure à celle obtenue par bandage seul.

Si l’efficacité du DLM au long cours n’est pas prouvée, son utilisation semble toutefois utile pour maintenir la réduction du volume du membre et la souplesse cutanée (consensus d’experts).

Recommandations au patient

Parallèlement au respect des règles d’hygiène de vie, l’apprentissage des autobandages fait partie intégrante de l’éducation thérapeutique des patients et favorise leur autonomie. 

Les bandages nocturnes réalisés à une fréquence évaluée de cas en cas, associés au port d’une compression élastique diurne  permettent, après le traitement intensif initial, de maintenir la réduction volumétrique du LO à plus long terme voire d’en diminuer encore le volume.

S’il est conseillé d’éviter la prise de la pression artérielle, le prélèvement sanguin, la pose d’une voie intra-veineuse au niveau du membre atteint, ces directives ne reposent cependant sur aucune base scientifique. 

De même, éviter les efforts physiques violents ou répétitifs ou encore le port de charges lourdes est empirique et démenti par des études récentes rapportant l’intérêt de l’haltérophilie chez des patientes opérées d’un cancer du sein, à la fois, en prévention et chez des femmes ayant un LO. 

Le port d’une compression élastique lors de ces exercices physiques est recommandé.

Il existe, par contre, une relation établie entre le surpoids et la fréquence ou l’importance du LO

La prise en charge nutritionnelle est donc fondamentale  dans la stratégie de traitement du LO.

Traitements adjuvants

La pressothérapie est une approche thérapeutique «facile» et très limitée  du LO. 

Elle ne contribue qu’à l’évacuation de la composante liquidienne du LO mais agit peu sur sa composante  protéique. 

Si, associée au DLM et aux bandages, elle augmente la réduction de volume, elle n’est pas efficace isolément et sa performance reste inférieure au DLM. 

Cette technique pneumatique doit rester auxiliaire et réservée aux phlébo-lymphœdèmes, où la charge lymphatique hydrique est plus importante.

Parmi les médicaments efficaces, les oligomères pro- cyanidoliques, les flavonoïdes et le ruscus ont montré des résultats positifs dans des essais randomisés. 

En revanche, les diurétiques sont non seulement inefficaces mais délétères car ils entraînent une déplétion hydrosodée sans éliminer les protéines de haut poids moléculaire accentuant la fibrose tissulaire.

Le recours à la chirurgie doit encore rester exceptionnel pour  traiter les  LO. 

Il nécessite  une prise en charge multidisciplinaire et la réalisation d’une lymphoscintigraphie. 

On distingue les techniques de résection et les techniques de dérivation.

Les techniques de résection sont rarement utilisées en dehors du LO pubien  et scrotal pour  lequel  il s’agit d’une bonne indication. 

On peut également l’utiliser en cas d’excédent cutané secondaire à un traitement physique.

Les techniques  de dérivation sont des techniques microchirurgicales qui consistent en autogreffes lymphatiques, anastomoses lymphoveineuses et transfert ganglionnaire vascularisé. 

Ces deux dernières sont les plus utilisées. 

Elles donnent des résultats inconstants à long terme et les transplantations ne sont pas dénuées d’effets secondaires dont le risque de LO sur le site donneur.  

Les techniques  de reconstruction ou de greffes tissulaires n’ont  pas fait l’objet  d’études suffisamment rigoureuses pour qu’il soit possible d’apprécier leur intérêt, leur innocuité et surtout leurs indications.

Dans le LO des membres, il est possible de faire une liposuccion  des tissus cellulo-adipeux excessifs. 

Ce geste ne s’adresse qu’aux œdèmes volumineux organisés hors de toute autre solution thérapeutique bien conduite. Les techniques chirurgicales restent actuellement des procédés adjuvants  au traitement physique,  ne permettant pas sa suppression ni l’arrêt du port d’une compression élastique.

Références
1 Rockson SG, Rivera KK. Estimating the population burden of lymphedema. Ann N Y Acad Sci. 2008;1131:14754.
2 Markhus CE, Karlsen TV, Wagner M, et al. Increased Interstitial Protein Because of Impaired Lymph Drainage Does Not Induce Fibrosis and Inflammation in Lymphedema. ATVB 2013;33:26674.
3 Mendola A, Schlögel MJ, Ghalamkarpour A, et al. The Lymphedema Research Group. Mutations in the VEGFR3 Signaling Pathway Ex- plain 36% of Familial Lymphedema. Mol Syndromol. 2013;4(6):25766.
4 Tomson D, Lessert C, Lüthi I, et al. Pathologies vasculaires lympha- tiques: apport de la lympho-fluoroscopie. Revue médicale suisse. 2015;11(460):3625.
5 McNeely ML, Magee DL, Lees AL, et al. The addition of manual lymphatic drainage to compression therapy for breast cancer related lymphedema: a randomized controlled trial: Breast Cancer Treat Res. 2004;86:96105.

6 Schmitz KH, Ahmed RL, Troxel AB, et al. Weight lifting for women at risk for breast cancer-related lymphedema: a randomized trial. JAMA. 2010;304:2699705.
7 Ibrahim EM, Al-Homaidh A. Physical activity and survival aftebreast cancer diagnosis: meta-analysis of published studies. Med Oncol. 2011;28:75365.
8 Shaw C, Mortimer P, Judd PA. A randomized controlled trial of weight reduction as a treatment for breast cancer-related lymphedema. Cancer. 2007;110:86874.
9 Miranda F Jr, Perez MC, Castiglioni ML, et al. Effect of sequential intermittent pneumatic compression on both leg lymphedema volume and on lymph transport as semi-quantitatively evaluated by lymphoscintigraphy. Lymphology. 2001 Sep;34(3):13541.
10  Vignes S, Blanchard M, Yannoutsos A, Arrault M. Complications of autologous lymph-node transplantation for limb lymphoedema. Eur J Vasc Endovasc Surg. 2013;45(5):51620.
11  Cormier JN, Rourke L, Crosby M, et al. The surgical treatment of lymphedema: a systematic review of the contemporary literature (20042010). Ann Surg Oncol. 2012;19(2):64251.

Télécharger l'article complet
https://medicalforum.ch/fr/resource/jf/journal/file/view/article/fms.2016.02495/fms-02495.pdf/
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...